Des citoyens condamnés pour leur égarement républicain
De juin à l'automne
1851, les Républicains s'inquiètent de l'attitude du nouveau Président Louis
Napoléon Bonaparte, et dans le département du Cher, déjà vu comme un fief de
"rouges", la propagande républicaine se développe.
Pendant plus de 150 ans, cette page de l’histoire locale sera
occultée un peu comme l'épisode de la Commune (exemple de
Gabriel RANVIER) qui n'a eu lui aussi que peu d'écho dans un Berry étranger à
ce qui se passait, le pouvoir étant entre
les mains des bourgeois locaux, conservateurs.
Voici résumé en quelques
lignes le contexte de l’époque qui vaudra tout de même à plusieurs habitants de
Saligny-le-Vif d’être condamnés pour leurs opinions politiques.
Dès 1850, les partis et
militants d'une république "démocratique et sociale" s’étaient dressés
pour inverser la tendance et gagner les élections de 1852. Leur chef de file
Auguste LEDRU-ROLLIN (voir article du 5.5.24), a la faveur de nombreux
berrichons, en particulier dans le Boischaut et à Vierzon.
Dans ce combat, en réponse aux actions des adeptes
de l’ordre à tout prix muselant la presse et interdisant les rassemblements
publics, les comités de solidarité de LEDRU-ROLLIN se muent en sociétés secrètes
dont l’objectif est de reprendre légalement le pouvoir par
les urnes lors des prochaines élections de 1852.
Dans le Centre, la société dite des
« Mariannes » donne de l’espoir à beaucoup de paysans attendant "la
République des Petits". Sa propagande vers un monde rural majoritaire à
l’époque dont elle cherche l’adhésion pour asseoir son succès est efficace et fait
peur aux hommes d’ordre de la région.
Dans le département du Cher, à l’exemple de la
Nièvre, va s’engager le cycle de l'insurrection, des
arrestations, des manifestations, et l'arrivée de la garde nationale.
Les « insurgés » sont activement
recherchés à partir d’octobre 1851. La répression conduite par un procureur
« particulièrement zélé » se traduit par l’arrestation de près de
1200 personnes dans toutes les tranches de la société, surtout dans le
milieu ouvrier, bien qu'encore faible en Berry en 1850, chez les artisans et
les paysans.
Quelques cinq semaines plus tard, c'est le coup d'Etat de décembre 1851. Les troubles se poursuivent encore plus violemment et des chefs républicains sont arrêtés et même déportés.
Des commissions de jugement sont créées en février 1852 et elles vont prononcer des condamnations dont la plupart le furent par rapport à des intentions, et rarement par rapport à des faits. Les peines seront particulièrement lourdes allant de la surveillance à la déportation au bagne à Cayenne ou en Algérie (en résidence libre ou en résidence forcée).
Pour le Cher, sur 1200 personnes près de 900 personnes vont être déférées et en nombre de poursuivis le département arrive dans le pays en 3ième position derrière les Basses-Alpes (1662) et l’Yonne (1150), ce qui situe l’ampleur du phénomène. Un peu plus de 700 seront condamnés et les libérés seront qualifiés « d’égarés ».
Sur les 3 communes de Saligny-le-Vif, Baugy et Villequiers 25 personnes en étant natives ou y étant domiciliées seront concernées (respectivement 9, 2 et 14).
Ultérieurement, au mariage de l’Empereur en 1853, ce sera le temps des grâces mais pour les déportés, bon nombre ne bénéficieront de l’amnistie que bien plus tard en 1869.
Le dépouillement des archives du Service Historique de la Défense mises en ligne en 2013 donne un éclairage sur la répression exercée à l'encontre de ceux qui ont résisté au coup d'Etat du 2 décembre 1851. J'en ai extrait les informations relatives aux 11 personnes de Saligny-le-Vif et Baugy (natives et/ou domiciliés). Décisions Motifs Dates de grâce
BOURRACHON François 38 ans Né à Saligny-le-Vif Liberté Homme tranquille.
Marié – Journalier Domicile Jouet Bon sujet
CAILLET Jean 36 ans Né à Saligny-le-Vif Transportation Homme de cabaret. Agent 02/02/1853
Célibataire - Charpentier Domicile Saligny-le-Vif en Algérie très actif des sociétés
(en résidence secrètes.Très compromis
forcée à Alger) par l’instruction. Menaces
à un affilié qui hésitait à
prêter serment
CHARMILLON Pierre 40 ans Né à Saligny-le-Vif Internement hors Fréquentant les cabarets 02/02/1853
.Marié 3 enfants – Journalier Domicile Saligny-le-Vif département Signalé comme affilé à la
puis surveillance société secrète et cherchant
le 03/03/1852 à faire des affiliations
DEVALLIERE Antoine 24 ans Né à Saligny-le-Vif Surveillance Sans intelligence 02/02/1853
Marié - Journalier Domicile Saint-Hilaire Peu dangereux
DRAULT François 55 ans Né à Azy Surveillance Affilié à la société secrète 02/02/1853
Marié 8 enfants Domicile Saligny-le-Vif Passait pour être l'un des chefs
Cabaretier, Tisserand Son cabaret était un lieu de réunion
N'est pas simplement entrainé.
Dangereux
GAUVAIN dit Déchet Jean 27 ans Né à Saligny-le-Vif Surveillance Faisait partie d'une bande
Marié -Porcelainier Domicile Noirlac d'insurgés. Venu la nuit à
Saint-Amand avec une bande de
porcelainiers au café Bourdiez
Arrêté à Bruère armé
d'une lame à polir
LEPIN Jacques 22 ans Né à Saligny-le-Vif Surveillance Affilié à la société secrète 02/02/1853
Célibataire - Menuisier Domicile Villequiers Assistait assidûment aux
conciliabules nocturnes
MENAGE François 53 ans Né à Saligny-le-Vif Surveillance Bavard. Peu dangereux 02/02/1853
Marié 1 enfant - Journalier Domicile Verrières
PETIT Sylvain 34 ans Né à Saligny-le-Vif Surveillance 2 ans Membre actif de la sociétè 02/02/1853
Marié 4 enfants - Journalier Domicile Saligny-le-Vif secrète. Sans être considéré
néanmoins comme dangereux
CAZY Simon 37 ans Né à Baugy Transportation Paresseux, Braconnier 14/02/1855
Marié 2 enfants - Charpentier Domicile Baugy en Algérie (en Affilié à la société secrète
résidence libre Habitué de cabaret
province d'Alger) Fondant ses espérances sur
puis surveillance l'avènement de la République
le 03/03/1852 sociale. A cherché à faire de la
propagande en compagnie d'un
repris de justice.Toutefois il
aurait exprimé plus tard le regret
d'être entré dans la société
secrète où il n'avait vu que des
perspectives de meurtre et
d'incendie.
POIRIER Philippe 39 ans Né à Farges Internement hors Affilié. Considéré à Baugy 14/02/1855
Marié 2 enfants - Cordonnier Domicile Baugy département 3 ans comme affilié et chef des
puis surveillance réunions nocturnes en plein
le 13/04/1853 champ. C'est un homme
qu'il faut éloigner du pays.
Parmi ces 11 personnes figurent :
François DRAULT maire de 1833 à 1840
Son gendre Sylvain petit fils de Antoine
PETIT maire de 1813 à 1829, et neveu de Hilaire PETIT maire de octobre 1840 à
décembre 1843 et de janvier 1847 à 1851
Pierre CHARMILLON cousin de Simon
CHARMILLON qui sera maire de 1860 à 1864.
Jean CAZY qui comme Philippe POIRIER étaient
liés aussi à la famille CHARMILLON.
Cet épisode témoigne de l’existence à Saligny-le-Vif d’un courant
d’opinions fortement attaché aux valeurs républicaines radicales.
Porté par des habitants implantés le plus souvent aux Essarts (là où les terres échappent aux propriétaires fortunés des grands domaines qui résident eux à Bourges ou dans leurs divers châteaux ou manoirs), il va influencer la vie locale pendant tout le 19ième siècle.
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